
Passons sur l’épisode post-thermidorienne des Incroyables et de Merveilleuses, trop fugace. Arrive le Premier Empire. Le pantalon (« sans culotte » donc) fait alors son apparition dans les salons. Par anglomanie, on adopte la redingote (francisation de « raining coat »), soit un manteau cintré généralement sombre. On imite Brummell, qui a lancé la mode de la cravate noire sur chemise blanche. Pour se distinguer, on fait tailler son gillet dans toutes les matières et couleurs imaginables. Exemple de cette mode sur Chateaubriand :

Dans les grandes occasions, l’habit est « dégagé » (on parle aussi de « queue-de-pie », ou de « frac »), avec ses deux basques par derrière. Il est coupé dans un drap noir « grain de poudre ». Toutefois, le revers du col, les boutons, les passepoils et les « baguettes » (galons recouvrant les coutures longitudinales du pantalon) présentent un aspect soyeux. Le tout avec gilet, chemise et cravate de couleur blanche. On voit encore cet accoutrement lors de certains évènements protocolaires, dresscodés « white tie », type mariages royaux, salutations officielles au Pape, galas du Prix Nobel. Ainsi Albert Camus n’y coupa pas :

Jean-Charles d’Espagne est peut-être le seul chef d’état à qui cela aille bien :

Nicolas Sarkozy se situant sans doute aux antipodes:

Notons que les Académiciens se font coudre des broderies vertes sur leur habit, et que les Ecossais – kilt oblige – ainsi que les militaires et les danseurs de tango le portent sans basques. Cela donne alors un « spencer », qui exige de très belles fesses.
Cette tendance à se délester de ses basques se généralise à la fin du dix-neuvième siècle, quand la redingote devient veston. Chemise blanche et cravate noire de rigueur. Sur cette base extrêmement neutre, d’infinies variantes restent néanmoins possibles, en jouant sur la forme du col (cranté, pointu, châle…), du boutonnage (double, simple, en pointe…) et du nœud (papillon, régate, ascot …).
Dans le même mouvement de raccourcissement du « haut », le smoking devient le must lorsque tombe le soir. Comme l’habit, il est noir mat, avec des finitions brillantes. Les premiers modèles sont des trois-pièces, qui vont avec un nœud papillon noir et un col cassé.
L’entre-deux-guerres simplifie encore davantage la garde-robe, puisqu’on tombe carrément le gilet. Pour rester tout de même suffisamment engoncé dans son costume, on opte pour une coupe croisée. Le col de chemise « rabattu » (le col d’aujourd’hui) et la cravate « sport » (la cravate d’aujourd’hui) profitent de ce moment pour prendre le pouvoir. Afin de ne pas sombrer toutefois dans l’uniforme, tous motifs et couleurs de cravate sont autorisés, à condition cependant d’observer la stricte règle de la chemise blanche. Saint-Exupéry incarne assez bien le mélange de décontraction et de retenue que cela permet :

Le smoking de ces « Années folles » est également croisé, avec chemise souple (col cassé proscrit). L’affiche ci-après est trop stylisée pour s’en rendre compte, mais il faut me croire :

A la Libération, le look s’américanise. C’est le costume droit (inventé par la maison « Brooks Brothers » de New York City) que nous connaissons aujourd’hui. Mais, alors que les étudiants se rendaient cravatés à la Sorbonne jusqu’en mai 1968, ils reviennent le col ouvert à la rentrée suivante. Dès lors, ils expriment leur originalité en arborant des chemises teintées ou imprimées, et bientôt des tricots de peau (les célèbres « t-shirts » qui nous viennent d’outre Atlantique) bariolés. Évidemment, ils tiennent le smoking pour ringards. Certains dandys lui restent fidèles malgré tout. On en distingue deux catégories.
Option 1 : à la manière du duc de Windsor..

Objectif : ne pas avoir l’air d’un garçon de café.
Solution : mettre un mouchoir blanc à sa pochette, ou piquer une fleur à sa boutonnière, voire les deux à la fois.
Option 2 : le style BHL.

Objectif : faire symboliquement la révolution. Pas prolétarienne, mais sexuelle. Solution : pratiquer le décolleté. Délesté de l’oripeau masculin que représente le nœud papillon, le smoking devient en effet un vêtement idéalement unisexe. La preuve par Yves Saint-Laurent, inventeur du smoking pour dames dans les années 70. Ci-dessous : Claudia Schiffer lors d’un défilé YSL organisé dans le centre Beaubourg au début du siècle.

On peut aussi tenter ce look androgyne sur smoking blanc:
Là encore, l'accessoirisation (pin's "Africa represents") permet de ne pas passer pour un vulgaire barman de la Croisière s'amuse par temps de canicule.

Mais attention, depuis quelques temps, une autre recette, « centriste » celle-là, est applicable. Le génial Hedi Slimane, ancien styliste des établissements « Dior Homme », a paré le smoking d’une cravate noire de rocker. Ce modèle « slim » ne doit pas être confondu avec une manifestation d’élitisme social, ou un signe de deuil. C’est juste le comble du chic des années post-2001.
Voici l’intéressé revêtu de sa création :

Look recommandable à tous âges. Jean Rochefort en a donné une belle illustration lors du dernier Bal de débutantes :

De nos jours en Occident, le costume-cravate n'est guerre plus porté que dans les palais de la République, lors des mariages et par les présentateurs de journal télévisé.
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